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La mensuration - introduction

Absence de barres de mesures
Absence de notes liées
Existence de rapports ternaires
Existence de rapports variables

Quelques mots sur le tactus

Stratégie d'une transcription
Figures de notes et de silences
Faut-il réduire les valeurs ?
Les niveaux de division

Attachez vos ceintures !
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C'est en vain qu'on chercherait à définir en quelques mots cette notion à partir de notre système actuel de notation, car elle n'y a pas d'équivalent. Au contraire, nous allons la cerner en pointant quelques éléments du système moderne qui n'existaient pas à l'époque :

 

Absence de barres de mesure

Cette absence nous frappe d'emblée, et nous gênera tant que nous n'aurons pas pénétré l'intimité de cette musique : il s'agit d'écouter des phrases habitées par la pulsation du tactus, plutôt que de compter des valeurs s'inscrivant nécessairement dans une métrique régulière.
Mais soyons réalistes : bien qu'ayant tous envie de découvrir cette musique, nous ne sommes pas forcément désireux d'entreprendre une démarche de longue haleine (personnellement je n'en suis qu'à mes premiers pas). Et même si c'est le cas, une écoute immédiate nous encouragera au seuil de cet effort...
Après tout, pourquoi transcrire vers une notation moderne ? En fait, je n'ai pas actuellement d'autre moyen pour créer des fichiers sonores, car l'éditeur de partitions Encore que j'utilise ne sait travailler qu'en notation mesurée. Sans compter le plaisir de se réunir pour jouer cette musique, en tenant compte des partitions et des bonnes volontés concrètement disponibles dans notre milieu d'amateurs...

Si néanmoins la notation ancienne, si belle, vous intéresse en tant que telle, voici une approche proposée par Sybrand Bakker, qui a une longue pratique vocale et instrumentale de cette musique :

En rédigeant ces pages, je me suis aperçu que je n'avais pas d'idées claires sur le rôle des barres de mesure dans la notation moderne ! En réponse à une question posée un jour dans des newsgroups, la plupart des gens semblent penser qu'il s'agit plus d'un outil facilitant le travail sur la musique que d'un symbole contribuant à son expression :

D'une part, la barre de mesure n'aide en rien, bien au contraire, à déchiffrer une pièce aux phrases de longueur et de rythmes variés, et dans le cas d'une danse, en revanche, la répétition des motifs est assez évidente pour que l'on considère la barre de mesure comme un pléonasme.

Mais tout le monde n'est pas d'accord sur ce point : Sybrand Bakker déjà cité pense que les mesures ont un rôle structurant non négligeable dans les danses publiées à la fin du seizième.
Je n'ai pas eu le loisir d'obtenir sa réaction vis à vis de ces quelques objections : tout d'abord, il me semble que de telles danses sont apparues quelque peu avant cette période ; ensuite, il est fréquent qu'on ait à prendre une décision à l'intérieur même d'une mesure - je pense au cas fréquent de l'hémiole ; enfin, et ce n'est pas le moins savoureux, je me souviens d'avoir vu dans Apel des exemples de musique du début du seizième, publiées plus tardivement dans ce siècle, et munies de barres de mesures placées en dépit du bon sens !

D'autre part, il faut constater que les barres de mesures sont une aide précieuse à la lecture verticale et à la compréhension des instructions données par le chef lors du travail de la pièce, spécialement avec un effectif important - à condition que les exécutants sachent lire la musique, ce qui était loin d'être aussi fréquent à l'époque que de nos jours.

Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'apparition de la barre de mesure aux alentours de 1600 est corrélée avec celle de la publication des pièces en partitions verticales comme celles d'aujourd'hui. Auparavant, les pièces publiées pour exécution l'étaient en parties séparées, c'est à dire l'une à la suite de l'autre (tout le cantus, puis tout l'altus, etc) sur la même page ou sur deux pages en regard : voyez les fac-similes publiés sur le site. Alors même que, pour leur propre compte, il paraît établi que les compositeurs travaillaient parfois sur des partitions verticales, ce qui se comprend aisément !

 

Absence de notes liées

Les symboles de liaison sont utilisés dans plusieurs cas par notre notation moderne :

En premier lieu pour représenter une valeur tenue au travers d'une barre de mesure ; nous serons donc pas concernés par cet emploi, et c'est tant mieux, car cet artefact de notation conduit parfois à représenter différemment deux motifs rythmiques identiques !

Ensuite, la liaison est parfois une variante d'écriture facilitant le déchiffrage ou suggérant une accentuation des valeurs composites pointées.

Enfin, certaines valeurs composites ne peuvent être écrites qu'avec des liaisons à partir de valeurs plus petites. Et là nous abordons le coeur du sujet : car les liaisons n'existaient pas à la renaissance, et la notation mensuraliste proposait donc une autre façon de représenter ces valeurs composites.

 

Existence de rapports ternaires

Aujourd'hui tous les rapports de valeurs sont binaires : une ronde vaut deux blanches, qui à leur tour valent deux noires chacune, etc. A l'époque existaient aussi des rapports ternaires, dont l'importance croît à mesure qu'on remonte dans le temps, car ces rapports dits parfaits constituèrent même les prémisses du système. L'opinion courante aujourd'hui, et certains documents d'époque, rapprochent cette idée de perfection de la notion religieuse de Trinité.
Les signes de mensuration placés en tête de chaque partie déterminaient quelles notes étaient en rapports ternaires ou binaires. Les mensurations de chaque partie n'étaient pas nécessairement identiques, et elles pouvaient changer à la rencontre d'un nouveau signe en cours de portée. tperf_deb

 

Existence de rapports variables

C'est certainement le point le plus déroutant du système au premier abord, mais aussi le plus caractéristique et le plus logique étant donné l'absence des symboles de liaisons. Faute de pouvoir construire des valeurs composites en ajoutant des notes liées, elles étaient obtenues par soustraction : en mensuration ternaire, une longue note peut être amputée de la valeur d'une note voisine plus petite à sa gauche ou à sa droite !

Une note définie au départ comme parfaite par le signe de mensuration, c'est à dire valant trois notes plus petites, pourra donc être rendue imparfaite par le voisinage d'une note de niveau inférieur, et alors n'en valoir que deux, pour un total inchangé de trois - appelé perfection. tperf_imperf

Telles sont les bases du système, qui deviendront plus claires dès que l'exposé des détails permettra de donner des exemples concrets.

 

Quelques mots sur le tactus

A première vue aucune musique de cette époque ne présente d'indication de tempo, mais c'est inexact, car cette indication est incluse implicitement dans les signes de mensuration, du moins dans leur acception rigoureuse prévue aux origines du système : quelques documents d'époque montrent des chanteurs se touchant l'épaule de la main pour battre la pulsation ou tactus, qui prescrit de passer la semi-brève (notre ronde) au rythme approximatif des battements du coeur humain.

Cette définition, pour souple qu'elle soit (comme il se doit pour une exécution adaptée au lieu, aux circonstances, etc), n'en est pas moins une indication impérative de tempo, comme le prouve a contrario l'existence d'un système de proportions codifiant l'accélération ou le ralentissement de l'exécution par des rapports 2, 3, 1/2, etc. L'étude des proportions est d'une extrême complexité, car elles furent exprimées par des symboles très divers, utilisés parfois dans des sens différents selon les auteurs qui se disputaient à leur sujet ! L'évolution historique non entièrement élucidée du symbole C barre dont nous avons hérité, qu'on pourrait croire très simple à comprendre, est à cet égard éloquente... (question posée en quelques mots dans Apel page 192, et largement traitée dans Busse Berger).

Nous nous contenterons donc ici d'étudier le jeu des mensurations de base exécutées selon le tactus unité (integer valor), c'est à dire au tempo approximatif d'une semi-brève par battement cardiaque. Pour éviter toute ambiguïté, précisons que le geste du tactus ou battuta implique un mouvement complet de posé et levé sur chaque semi-brève.

Oui, c'est tout bête : comment poser plusieurs fois de suite sans lever entre temps ?

 

Stratégie d'une transcription

Nous partons d'un fac-simile comme l'un de ceux visibles sur le site, pour aboutir à sa transcription en notation moderne, puis à son audition : si ce n'est déjà fait, allez vite écouter mes transcriptions de Josquin, Barbireau, Mouton, etc, sur la page consacrée aux pièces de la renaissance, je présume que cela vous motivera pour aborder la suite de cette étude !

Quelles seront donc les étapes de ce processus ?

En premier lieu vous aurez soin de choisir un fac-simile facile à lire. C'est plus important qu'il n'y paraît, car j'ai constaté qu'un document mal présenté ou mal conservé engendre plus de difficultés parfois que le travail de transcription proprement dit : signes de suite renvoyant à divers recoins de la feuille, ratures, hampes de notes presque effacées, silences ressemblant à des points - à moins que ce ne soit l'inverse - autant d'écueils sur la route du débutant mal assuré que nous sommes encore ! peu_lisible
Ensuite il vous faudra transformer les ligatures du manuscrit en une suite de notes écrites isolément comme elles le sont aujourd'hui. C'est à mon avis un processus aussi simple qu'amusant, que vous explique ma page sur les ligatures. Ainsi vous obtiendrez une succession de figures de notes, sans pour autant connaître encore leurs rapports de valeur qui dépendent justement de la mensuration. passage_ligs

La dernière étape consistera donc à consulter les signes de mensuration pour en déduire les règles de transcription vers une notation moderne. Je vous conseille de débuter par une pièce de mensuration entièrement binaire dont vous verrez qu'elle est très facile à lire : mieux vaut ne pas aborder simultanément plusieurs aspects nouveaux avant de s'être fait la main sur chacun d'eux séparément.

 

Figures de notes et de silences

Je ne vais pas reproduire ici le nom des notes donné en tête de la page sur les ligatures, mais simplement le tableau de leurs abréviations et symboles, en le complétant toutefois par une ligne consacrée aux silences correspondants :

Mx L B S M Sm F Sf
maxime 2 ou maxime 1 longue brève semi-brève minime semi-minime fuse semi-fuse
sil_2lg2 ou sil_2lg3 sil_1lg2 ou sil_1lg3 sil_breve sil_semi-breve sil_minime sil_semi-minime sil_fuse1 ou sil_fuse2 sil_semifuse

Attention, il en va des silences comme pour les notes : la valeur effective de certains d'entre eux dépend de la mensuration. Ainsi, par exemple, lorsqu'une brève vaudra trois semi-brèves, il en sera de même du silence de brève...

On voit que nos silences modernes ressemblent beaucoup aux anciens, à l'exception d'une incohérence criante concernant la pause : celle-ci est réputée valoir aujourd'hui toute une mesure et non pas toujours une ronde, alors que nos autres silences ont tous la même valeur que la note qui leur correspond.

La représentation variable des silences de longues et de maximes sera expliquée par la suite.

 

Faut-il réduire les valeurs ?

Quelques mots encore sur le rapport de réduction que certains auteurs ont appliqué systématiquement aux transcriptions. L'absence de réduction consiste à représenter une semi-minime par une noire, une minime par une blanche, puis, selon la mensuration, une semi-brève par une ronde pointée ou non pointée, une brève par une carrée pointée ou non, une longue par deux ou trois carrées liées, et finalement une maxime, presque toujours binaire, par... quatre carrées liées !

Allons nous préserver ce rapport 1:1 dans la transcription ?

Ma réponse est oui, à chaque fois que c'est possible sans alourdir le résultat moderne, c'est à dire dans tous les cas sauf celui d'une partie en valeurs longues de bout en bout, comme ce peut être le cas d'un cantus firmus. Dans ce cas, et celui-là seul, il nous faudra bien diviser les valeurs par quatre, par exemple, afin de représenter les maximes par une carrée, les longues ternaires ou binaires par une ronde pointée ou non, etc, et donc les semi-minimes par des doubles-croches. valeurs_longues

Dans tous les autres cas je préfère, et de loin, une transcription non réduite, pour l'esthétique et la lecture : je ne vois guère quels problèmes poseraient des mesures à 2/1, 3/1, 6/2, etc, adoptées de plus en plus souvent par les éditeurs modernes pour certains passages de canzon ; d'autre part, en tant qu'amateur, j'ai tendance à confondre encore vitesse et précipitation, aussi la vue de passages richement décorés écrits en noires plutôt qu'en doubles-croches m'aide à les interpréter sereinement...

Comme quoi l'on peut parfois tirer profit d'un décalage culturel : évidemment, un amateur de la renaissance ayant le même problème que moi s'affolerait tout autant à la vue des semi-minimes !

Quand vous déciderez malgré tout de réduire, ne le faites qu'après avoir obtenu une première version non réduite qu'il sera bien plus aisé de confronter à l'original en cas de doute. Faute d'observer ce principe, j'ai dû plusieurs fois gommer de nombreuses lignes qui m'avaient coûté pourtant bien des efforts ! N'oubliez pas que vous travaillez sur des parties très pauvres en points de repère, et non alignées verticalement : appliquer simultanément les règles de lecture des ligatures, les règles parfois subtiles de la mensuration, et un rapport de réduction à des notes encore peu familières, c'est peut-être en vouloir un peu trop pour un début...

 

Les niveaux de division

Mieux valait vous réserver une bonne surprise plutôt qu'une mauvaise : en vérité, seuls deux niveaux de division jouent un rôle essentiel au premier abord, à savoir la division des brèves (carrées) en semi-brèves (rondes), et la division des semi-brèves en minimes (blanches).

Aux niveaux inférieurs, la division est immuablement binaire comme de nos jours : une minime vaut deux semi-minimes (noires), une semi-minime deux fuses (croches), et une fuse deux semi-fuses (double-croches).

Les niveaux supérieurs maximes => longues => brèves interviennent à un moindre degré : ils sont binaires par défaut, sauf indication contraire pas très fréquente, et par conséquent nous en différons l'exposé jusqu'à la fin de cette étude.

La division des brèves en semi-brèves s'appelle tempus. Sa déclinaison ternaire s'appelle donc tempus perfectum, et la binaire tempus imperfectum.
La division ternaire des semi-brèves en minimes s'appelle prolatio major, et la division binaire prolatio minor.

Que ces appellations disparates ne vous troublent pas : major et minor sont bel et bien les versions parfaites et imparfaites de la division prolatio.

En pratique, l'écriture de toute musique suppose évidemment que soit défini le genre de division pour chacun des deux niveaux, d'où quatre combinaisons possibles : temps parfait - prolation majeure, temps parfait - prolation mineure, temps imparfait - prolation majeure, temps imparfait - prolation mineure. D'autre part, l'historique du système et la graphie des signes de mensuration suggèreraient d'étudier en premier les divisions ternaires parfaites.

Toutefois nous avons choisi pour la suite un plan d'exposé différent, dans un souci de clarté et de gradation des difficultés :

 

Attachez vos ceintures !

Il est grand temps d'aborder l'étude détaillée des règles de la mensuration, en cliquant sur la page suivante.

Pour approfondir le sujet, ou simplement confronter mon exposé avec les sources qui m'ont servi à le rédiger, consultez la bibliographie. Mais souvenez-vous des commentaires sur les proportions un peu plus haut sur cette page : n'abordez cette question qu'avec un tube d'aspirine à portée de main, ou plutôt une poignée de feuilles de saule pour rester dans une ambiance renaissance :-)
 


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